Le petit chaperon rouge autre version
Un pâtissier , demeurant
Dans la plaine de Montrouge,
Avait un’ charmant enfant
App’lé le p’tit Chap’ron Rouge !
C’est, me direz-vous, un nom singulier,
qu’on n’a jamais vu dans le calendrier :
Pourquoi l’app’lait-on le p’tit Chap’ron Rouge ?
Je vais faire cesser votre étonnement :
Ca venait tout bonn’ment de c’que ses parents,
Quand elle était p’tit, l’avaient vouée au blanc !
C’ pâtissier lui dit : " hélas !
J’ai là depuis l’année dernière,
Deux pâtés qui ne se vendent pas,
Tiens, port’-les à ta grand’mère :
Elle a constamment des maux d’estomac,
Et l’ médecin y a dit qu’il fallait pour ça
Prendre un’ nourriture extrêm’ment légère,
Ca lui fera du bien, ou je m’tromp’ beaucoup. "
V’la l’enfant qui prend ses jambes à son cou,
Manièr’ de courir pas commod’ du tout.
Sur sa rout’ elle rencontra
Le loup qui lui dit : " Mam’selle,
Au moins pour courir comm’ça,
Portez-vous de la flanelle ?
- Non, j’port’ des pâtés, lui répond l’enfant,
Qu’ mon papa envoie à ma bonn’ maman.
- Fort bien, dit le loup, où demeure-t-elle ?
- Au moulin, là-bas, répond l’innocent.
- Voyons, dit le loup, lequel en courant
Sera , de nous deux, au moulin-avant. "
Le loup part comme un coup d’vent,
Il frappe à la maisonnette :
" Qui qu’est là ? dit la mèr’ grand,
S’dorlotant dans sa couchette.
Le loup prend la voix du petit Chap’ron,
Et dit : " J’ vous apport’ du nanan bien bon ! "
La mèr’ grand répond : " Tir’ la chevillette
Et la bobinette aussitôt cherra. "
L’ scélérat entra, la mangea, croqua,
Si bien qu’à la fin, son bonnet seul resta.
Non content d’ mettr’ le bonnet,
Les lunett’s de sa victime,
Croiriez-vous qu’il eut l’toupet
D’ fair’ des jeux d’ mots sur son crime :
" Je ne vois pas, dit-il, de quoi ell’ s’ plaindrait,
Au lieu d’ son moulin, j’ lui donn’ mon palais ! "
Et puis en poussant un rire unanime,
Il s’ coucha dans l’lit, du côté du mur,
En disant : " J’ quitterais mon boucher, bien sûr,
S’il me vendait un bifteck si dur ! "
Le p’tit Chap’ron qui s’était
Arrêté à la Civette
(Quoiqu’ son père lui défendit),
Pour acheter un’ cigarette,
Arrive au moulin et se met à cogner ;
Le loup crie alors, en parlant du nez :
C’est toi, mon enfant, tir’ la chevillette
Et viens dans mon lit, t’ coucher avec moi,
Car je n’fais pas d’feu, quoiqu’il fasse bien froid,
Parc’que mon poël’ fume et que j’ n’ai pas d’bois. "
Le p’tit Chap’ron dit : " Mèr’ grand,
Qu’vous avez une drôle de balle ! "
Le loup répond : " Mon enfant,
J’aim’ cett’ remarqu’ filiale.
- Grand’ mèr’, vos deux yeux brillent comme des lampions.
- Enfant, c’est l’effet de ma satisfaction.
- Vous ouvrez la bouche aussi grand’ qu’un’ malle !
Vous pourriez serrer tout plein d’ choses là d’dans. "
Le loup prend l’enfant, l’avale en disant :
" Tu trouv’s ma bouch’ malle, et moi j’ te mets dedans. "
MORALITÉ
Écoutez, grands, moyens, p’tits,
La moral’ de cette histoire :
Faut s’ défier des gens polis,
Ils ont souvent l’âme très noire.
Et ceux qui vous dis’nt : comment ça va-t-il ?
Ont souvent pour but d’ manger vôtre rôti ;
Ce rôti, pour eux n’est que provisoire,
C’est en attendant, qu’ils vous croquent aussi :
C’est pourquoi je dis qu’les gens impolis
Doiv’nt être regardés comm’ les vrais amis.
Ch. Delange
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